Interview de Valérie Duchênes, pédologue-géologue à Auxerre.

VOCALIB : Valérie, bonjour, vous exercez le métier de pédologue, pouvez vous nous expliquer en quelques mots en quoi consiste votre métier ?

Valérie : je suis pédologue-géologue, deux disciplines complémentaires : la pédologie désigne l’étude des sols tandis que la géologie étudie le sous sol, la croute terrestre. Entre l’atmosphère et la croute terrestre se trouve une petite pellicule, que l’on appelle la terre arable, cultivée, que nous pédologues appelons le sol. Le sol, c’est là ou il y a la vie : il peut contenir jusqu’à 25% de la biodiversité sur terre. C’est une interface méconnue et très importante, régulée par des services éco-systémiques c’est-à-dire les relations entre les êtres vivants et le milieu dans lequel ils vivent. Pour mieux comprendre ces services et utiliser au mieux les sols en matière de conservation de la biodiversité, de régulation de l’eau, dans la fourniture de nourriture, on fait appel à un pédologue. Je précise que je suis une pédologue en pédologie appliquée, je ne travaille pas dans le domaine de la recherche, mais je collabore avec le milieu de la recherche (INRAE, CNRS…). Je suis le maillon entre l’utilisateur du sol et le monde de la recherche : je vais aider les utilisateurs du sol à tirer les meilleures fonctions du sol pour les objectifs recherchés.
J’ai travaillé très longtemps dans le monde agricole, en étudiant les sols dans une optique de production agricole. Aujourd’hui ma pratique a évolué, je vais voir le sol plutôt en tant que régulateur dans les crues, par rapport à la qualité de l’eau, par rapport aussi aux changements climatiques et à la capacité du sol à stocker du carbone par exemple. Le métier de pédologue, c’est pour moitié une pratique de terrain, j’ai toujours le nez au sol, tandis que l’autre moitié consiste à réussir à expliquer ce que je vois pour que ce soit le plus pragmatique, le plus utile possible. Je passe aussi beaucoup de temps à faire des cartes, des fiches, des éléments de communication pour expliquer simplement ce qu’est un sol et à quoi il peut servir. Je fais de la prestation pour une clientèle privée, je fais de l’expertise (pour l’administration, etc.), je fais de la formation auprès des écoles, de l’université, des instituts agricoles. Voilà très rapidement en quoi consiste mon métier.

VOCALIB : votre métier au quotidien : il consiste en quoi ? Il consiste à faire des prélèvements, des analyses, des carottages ?

Valérie : il consiste d’abord à identifier le sol, puis à le qualifier. Un sol ne se distribue pas au hasard dans le paysage, il est dépendant de la géologie qui est en dessous, de ce que l’on appelle sa roche mère qui lui donne sa nature minéralogique, ainsi que de l’occupation qu’il y a au-dessus, par exemple la végétation qui amène l’apport organique et la nourriture pour le monde vivant qui va se développer dans ce sol. Et puis le climat qui influence cet ensemble et créée des sols. Les sols sont issus d’un équilibre entre ces trois éléments. Etant donné que le climat varie, la géologie varie, l’occupation des sols varie, on rencontre des sols différents et on est obligé d’aller sur le terrain pour identifier ces sols. Ensuite, en fonction du service que l’on va demander à ce sol je vais chercher à établir ses caractéristiques : par exemple si c’est pour produire je vais regarder s’il a assez de profondeur, s’il a assez de capacité pour stocker de l’eau, s’il permet que les racines se développent. Si c’est pour pouvoir épurer l’eau avant qu’elle rejoigne une nappe, est ce qu’il va être assez profond pour filtrer cette eau, est ce qu’il va pouvoir la retenir, est ce qu’il va avoir une activité biologique suffisante ? De la même manière je vais regarder d’autres paramètres si l’objectif est de développer une activité de maraichage par exemple, ou replanter un vignoble. Je peux aussi intervenir sur des documents d’urbanisme pour qualifier les potentialités, par exemple déterminer qu’une terre n’est pas bonne pour produire du blé mais peut être excellente pour produire du vin. Tout commence par une étude biographique, je repère la carte géologique, les paysages, la façon dont peuvent se répartir les sols. Par la suite je me rends sur le terrain pour prélever des échantillons, je fais des sondages, je décris ce que je vois dans les échantillons en fonction des paramètres dont j’ai besoin pour répondre à la demande qui m’a été faite. La partie ‘bureau’ débute ensuite, je vais rédiger mes observations, je vais élaborer une ou plusieurs cartes (des cartes de sols, des cartes thématiques). Je vais au final rédiger un rapport qui explique tout ce que j’ai pu voir, et si oui ou non le sol que j’ai rencontré peut remplir les fonctions que le client en attend. Je ne fais pas les analyses de laboratoire, mais uniquement des analyses sur le terrain.

VOCALIB : J’imagine que votre métier est de plus en plus impacté par les préoccupations environnementales, par exemple le comportement des sols en matière de gestion de l’eau, de l’évaporation. Votre métier vous amène à devenir une spectatrice et une actrice en première ligne ?

Valérie : En première ligne et même avant-gardiste, car j’ai toujours travaillé dans le domaine de l’environnement. J’ai toujours été dans un service environnement, donc ça a toujours été le sens du service de l’environnement dans toutes ses composantes -l’air, l’eau, le sol, le sous sol et le monde vivant- qui m’a animée. Ce sur quoi j’ai du travailler au départ c’était la qualité de l’eau, le pouvoir épurateur des sols et c’était il y a plus de 20 ans. A l’époque travailler ce sujet avec les agriculteurs constituait un vrai challenge. Il y a eu depuis beaucoup de progrès. On a vu arriver ensuite les notions de carbone, le programme ‘4 pour 1000’, ou l’on a imaginé que les sols pouvaient stocker une partie des gaz que l’on émettait, puis le sujet de la biodiversité que j’ai évoqué au début de cette interview. A ce sujet savez vous que le premier antibiotique qui a été trouvé est issu d’une bactérie qui existait uniquement dans le sol ? A ce jour on ne connaît que 10% des bactéries du sol alors qu’elles représentent 25% de la biodiversité totale. On comprend donc qu’il existe des services éco-systémiques du sol que l’on ne connait pas encore. Le sol c’est un élément qui est devenu incontournable. Aujourd’hui on parle de verdissement dans l’urbanisation, on prend en compte de plus en plus le sol, qui avant n’était considéré qu’en tant que support, et au sein duquel on pensait qu’il n’y avait pas d’échanges. C’est une piste de développement énorme de notre activité.

VOCALIB : Valérie, quelles ont été vos études, qu’elle a été le cheminement qui vous a amené à l’exercice de votre métier ?

Valérie : J’avais à la base une forte sensibilisation à l’environnement, et puis j’aimais beaucoup les cailloux, et la biologie. Et je n’étais pas fan des maths donc j’ai choisi mes études en fonction de mes accointances, de mes intérêts ; j’ai choisi des études universitaires, à l’époque c’était la biologie J’ai suivi un DEUG une Licence puis un DESS (aujourd’hui Master), et au bout de six mois j’ai eu la possibilité de me spécialiser en géologie. Je suis tombé amoureuse de la géologie à ce moment là parce que je suis passionnée par l’histoire des hommes et j’ai vu la géologie comme une histoire de la terre, pleine d’indices disséminés sous mes yeux. Lorsque je regarde un paysage très rapidement je vais chercher à comprendre comment il a été façonné, par quelle poussée d’orogénèse*, j’ai toujours une lecture géologique de ce paysage. J’ai développé par la suite des spécialisations en géologie fondamentale et appliquée, puis en paléontologie et stratigraphie (les roches et les fossiles donc). A la faveur d’un module traitant de l’hydrogéologie (comment l’eau circule dans les roches) puis d’un autre abordant la pédologie, j’ai développé un intérêt fort pour ces deux domaines. J’ai été recrutée au sein d’une chambre d’agriculture pour mener des enquêtes, ou j’ai pu progressivement valoriser mes compétences en géologie pédologie, milieux naturels et environnement. J’avais également suivi une spécialisation en environnement des espaces ruraux, au moment ou l’on commençait à parler des sols et de leur pouvoir tampon, épurateur…. Cette chambre d’agriculture m’a embauchée par la suite pour travailler sur l’hydrogéologie, et j’ai eu la chance et l’opportunité de pouvoir créer mon poste. J’ai joué le rôle d’interface dans le cadre de projets réunissant des agriculteurs, des instituts de recherche, des financeurs (par exemple l’Agence de l’eau qui veut avec un syndicat de bassin, connaître les aléas du ruissellement). Les agriculteurs par exemple ont des besoins qui nécessitent l’élaboration de projets techniques, donc voilà, je me suis spécialisée du coup, dans la Pédologie. Il existe une autre voie d’études pour devenir pédologue, elle consiste à passer par les écoles d’agronomie, donc des écoles d’ingénieurs agricoles. Ces ingénieurs sont très spécialisés sur l’environnement agricole mais ils n’ont pas la vision globale que peut avoir un géologue.

VOCALIB : Valérie quels sont selon vous les qualités personnelles dont il faut disposer en plus des qualités techniques pour exercer le métier de pédologue-géologue ?

Valérie : les premières qualités qui me viennent à l’esprit sont: aimer le travail en extérieur mais également le travail au bureau, puisqu’il faut prospecter, communiquer puis restituer son travail. Il faut aimer communiquer, c’est-à-dire expliquer ce que l’on fait pour que les sols soient de plus en plus pris en compte parce qu’ils sont essentiels. Communiquer sur toutes les formes, à l’écrit, à l’oral, former des jeunes ou des moins jeunes…

VOCALIB : aimer communiquer, d’après ce que j’entends, c’est également aimer convaincre, non ?

Valérie : convaincre, oui, c’est vrai. On a souvent affaire à des gens qui sont déjà convaincus mais pour d’autres il va falloir aller les chercher pour leur montrer l’intelligence de la démarche… Il y a des personnes qui utilisent des sols sans savoir tout le potentiel qu’il peuvent recéler. Il faut également avoir un esprit de prospective, c’est-à-dire essayer de sentir les besoins. Notre métier n’est pas très connu ; tout le monde parle des sols, mais sans savoir exactement ce qu’il en est. Ca veut dire qu’il faut aller à la rencontre des gens qui pourraient avoir besoin des données, et oui effectivement les convaincre. Mais il faut avoir cet esprit, il ne faut pas rester dans son coin, il faut s’ouvrir. La curiosité est également une qualité très importante : quand je vais sur le terrain je mène une enquête policière, je joue au Cluedo, je sais que je vais avoir telle roche et donc potentiellement j’aurai tel sol, qui aura telle caractéristique et donc je marche, j’arpente pour trouver les sols et dans leur délimitation. Je cherche des indices. 

VOCALIB : merci Valérie.